the observer logo

Articles d'intérêt

Dette privée : Quelle est la place des prêts hypothécaires ?

Par Michaël Beaupré, Directeur général - Relations avec les clients, Institutional Mortgage Capital
juin 26, 2025

Au cours des six derniers mois, les investisseurs ont été confrontés à une incertitude accrue, en raison des changements dans les politiques commerciales et tarifaires du gouvernement américain. La volatilité des marchés est demeurée élevée, et aucune classe d’actifs traditionnelle n’a offert une protection fiable contre ces fluctuations. Traditionnellement, les investisseurs institutionnels comptaient sur la corrélation inverse entre les actions et les obligations pour stabiliser leurs portefeuilles. Cependant, cette relation s’est affaiblie au fil des années — les marchés boursiers et obligataires évoluent désormais souvent dans le même sens en période de stress, ce qui réduit l’efficacité des stratégies de diversification traditionnelles.

En réponse, les investisseurs institutionnels explorent de plus en plus les classes d’actifs alternatives afin de renforcer la résilience de leurs portefeuilles. L’une de ces alternatives est la dette privée. Bien que la dette privée fasse partie depuis longtemps des stratégies des grandes caisses de retraite et des compagnies d’assurance, les régimes de taille moyenne, voire certains investisseurs fortunés, emboîtent désormais le pas, attirés par les rendements ajustés au risque intéressants et la stabilité des revenus que ces stratégies peuvent offrir.

Cet article s’adresse aux investisseurs institutionnels, notamment les caisses de retraite, les fondations et les fonds de dotation, qui évaluent le rôle des placements hypothécaires au sein d’un portefeuille de dette privé diversifié. Nous examinerons en quoi les stratégies hypothécaires se distinguent des autres formes de dette privé et mettrons en lumière les avantages spécifiques qu’elles peuvent offrir aux portefeuilles institutionnels — particulièrement dans le contexte économique incertain d’aujourd’hui.

De nombreux responsables de l’allocation d’actifs réévaluent activement leurs portefeuilles à la recherche de stratégies capables de réduire le risque et la volatilité, sans compromettre les rendements. Dans ce contexte, les prêts hypothécaires commerciaux canadiens méritent une attention particulière. Historiquement, cette classe d’actifs a offert une performance solide — avec des rendements supérieurs à ceux de la plupart des stratégies traditionnelles à revenu fixe, tout en maintenant un niveau de risque relativement faible.

Les dernières années ont été un véritable test pour cette classe d’actifs et pour ses gestionnaires. Avec des taux d’intérêt historiquement bas et des évaluations immobilières à des sommets, l’environnement d’investissement était particulièrement fragile pour les gestionnaires de portefeuilles hypothécaires. Lorsque les taux d’intérêt ont commencé à augmenter rapidement, le risque sous-jacent de presque tous les prêts s’est fortement accru. L’impact des tarifs américains sur cette classe d’actifs a toutefois été minimal. Même en cas de ralentissement économique, les valeurs de l’immobilier commercial devraient demeurer relativement stables. Malgré cet environnement difficile, la grande majorité des prêts hypothécaires commerciaux canadiens ont continué à bien performer, et les gestionnaires de premier plan ont su s’adapter aux conditions changeantes du marché et offrir de bons rendements.

Aujourd’hui, avec une inflation largement maîtrisée au Canada, la plupart des économistes s’attendent à ce que les taux d’intérêt demeurent stables ou diminuent légèrement au cours des prochaines années. Cette stabilité anticipée est favorable aux propriétaires d’immeubles commerciaux, car elle offre une meilleure visibilité pour l’établissement des budgets, le refinancement, ainsi que la planification de nouveaux projets ou d’améliorations majeures. Cela stimule à son tour l’activité du marché, élargissant le flux d’occasions de financement hypothécaire — un avantage clé pour les gestionnaires actifs de prêt hypothécaire. Par ailleurs, la croissance démographique du Canada constitue un vent favorable pour cette classe d’actifs, en augmentant la demande immobilière dans tous les secteurs. Bien que cet effet soit particulièrement marqué dans le multi-résidentiel, il s’étend également aux autres types de propriétés commerciales, une population en expansion entraînant un besoin accru en lieux de travail, commerces et services.

Au cours des cinq dernières années, de nombreux investisseurs à la recherche de diversification en dette privée se sont tournés vers les stratégies de crédit corporatif privé. Un rapport de McKinsey publié en septembre 2024 indiquait : « Le crédit privé est l’un des segments du système financier ayant connu la croissance la plus rapide au cours des 15 dernières années. Cette classe d’actifs, selon les mesures courantes, atteignait près de 2 000 milliards de dollars à la fin de 2023, soit environ dix fois sa taille de 2009. »1 Cette croissance rapide suscite des préoccupations quant à un possible engorgement dans certains segments du marché du crédit privé, rendant de plus en plus difficile pour les gestionnaires de portefeuille de trouver des occasions d’investissement intéressantes.

Bien que le crédit privé aux entreprises et les prêts hypothécaires partagent certaines caractéristiques — ce sont tous deux des stratégies de revenu fixe comportant des échéances généralement plus courtes, des structures à taux variable et une volatilité limitée — ils diffèrent sur des aspects fondamentaux. La principale distinction réside dans la nature des garanties qui soutiennent les prêts.

Les prêts de crédit privé sont généralement garantis par les revenus, les comptes clients ou les stocks des entreprises, des garanties qui s’avèrent souvent moins solides que l’immobilier, surtout en période de stress sur les marchés. La performance du portefeuille repose alors sur la capacité du gestionnaire de portefeuille à sélectionner des entreprises dotées de fondamentaux solides et de flux de trésorerie fiables, capables d’honorer les paiements d’intérêt et de capital. À l’inverse, les prêts hypothécaires sont garantis par des actifs immobiliers tangibles. Les gestionnaires évaluent la capacité du bien à générer un flux de trésorerie suffisant pour assurer le service de la dette, ce qui procure des revenus plus prévisibles, généralement moins sensibles à la volatilité des marchés ou aux risques géopolitiques.

Un autre avantage notable des prêts hypothécaires commerciaux canadiens réside dans le recours légal dont disposent les prêteurs en cas de défaut. Dans la majorité des cas, les prêteurs canadiens ont le droit légal de se tourner vers les garants personnels ou corporatifs pour obtenir le remboursement — même au-delà de l’actif sous-jacent. Ce cadre juridique incite fortement les emprunteurs à collaborer avec les prêteurs et à éviter le défaut de paiement, ce qui contribue aux faibles taux de pertes historiquement observés sur le marché canadien.

En novembre 2023, Business Wire, un média d’information appartenant à Berkshire Hathaway, a relayé un rapport de l’agence de notation Kroll Bond Rating Agency (KBRA) portant sur les prêts hypothécaires commerciaux titrisés (CMBS) au Canada. L’étude a analysé 3 599 prêts émis entre 1998 et 2022, fournissant un aperçu précieux de la performance de crédit à long terme des prêts hypothécaires commerciaux canadiens. Les résultats soulignent la solidité du profil de crédit de cette classe d’actifs : le taux de perte cumulatif s’est avéré remarquablement faible, à seulement 0,2 %. Ces chiffres mettent en évidence la résilience et la stabilité des placements hypothécaires canadiens au cours des 25 dernières années.2

Historiquement, les investisseurs institutionnels ont principalement intégré les stratégies hypothécaires à leurs portefeuilles à revenu fixe dans le but d’en améliorer le rendement. Bien que cet objectif demeure central, un nombre croissant d’investisseurs considèrent désormais les prêts hypothécaires comme un outil de gestion du risque, en raison de leur faible volatilité et de leurs taux de défaut faibles. Ils permettent d’isoler une partie du portefeuille des perturbations des marchés.

Les portefeuilles hypothécaires « Core » offrent généralement un écart de rendement significatif par rapport aux obligations gouvernementales, tout en maintenant un profil de crédit prudents, avec des ratios prêt-valeur souvent inférieurs à 65 %. Une autre façon pertinente d’évaluer cette classe d’actifs consiste à comparer les rendements historiques des portefeuilles hypothécaires à ceux des placements traditionnels en immobilier. Une analyse des portefeuilles des plus grands régimes de retraite au Canada révèle que la performance à long terme de certains fonds hypothécaires actifs est comparable à celle des portefeuilles immobiliers — mais avec une volatilité nettement inférieure et l’avantage additionnel de recevoir des revenus constants.

Dans les prochaines années, nous prévoyons que de plus en plus d’investisseurs institutionnels chercheront à tirer parti des avantages d’un rééquilibrage partiel de leur exposition immobilière « Core » vers des stratégies hypothécaires à valeur ajoutée. Lorsqu’elles sont gérées par des gestionnaires de portefeuille expérimentés, ces stratégies peuvent générer des rendements supérieurs à 10 %, tout en offrant une faible volatilité et une solide protection contre les baisses, puisqu’elles sont généralement adossées à des actifs immobiliers de grande qualité et à des emprunteurs bien capitalisés.

Dans un environnement marqué par une volatilité persistante et une incertitude macroéconomique, les investisseurs institutionnels accordent une importance croissante à la résilience et à la prévisibilité de leurs portefeuilles. Les placements hypothécaires — en particulier ceux garantis par des immeubles générant des flux de trésorerie et des revenus stables — représentent une solution attrayante.

La capacité d’un actif réel à générer des flux de trésorerie stables joue un rôle essentiel dans le maintien de la performance des prêts, surtout en période de stress économique. Contrairement au crédit privé adossé à des entreprises, dont le remboursement dépend du succès opérationnel de celles-ci, les prêts hypothécaires sont soutenus par des actifs tangibles générant des revenus contractuels et prévisibles, sous forme de loyers. Cette différence fondamentale renforce non seulement la protection contre les baisses, mais offre également une meilleure visibilité sur les risques. Pour les investisseurs en quête de stabilité, il est essentiel de privilégier des gestionnaires hypothécaires qui se concentrent sur des immeubles à flux de trésorerie stables, avec un processus de souscription rigoureux axé sur la prévisibilité de ces revenus.

Alors que les institutions réévaluent leurs allocations en revenu fixe et en immobilier, l’attrait des stratégies hypothécaires réside non seulement dans leur profil de rendement intéressant, mais aussi dans la solidité et la fiabilité des garanties sous-jacentes. En période d’incertitude, détenir des actifs dont les revenus proviennent directement d’immeubles physiques générant des revenus constitue une véritable valeur ajoutée. Pour les investisseurs à long terme, cette stabilité représente bien plus qu’une stratégie défensive — c’est un avantage stratégique.




1 McKinsey & Company. (2024, October 26). The Next Era of Private Credit. Retrieved from https://www.mckinsey.com/industries/private-capital/our-insights/the-next-era-of-private-credit

2  KBRA. (2023, November 16). KBRA Releases Research: Canadian CMBS Loan Default and Loss Study. Business Wire. Retrieved from https://www.businesswire.com/news/home/20231116894652/en/KBRA-Releases-Research-Canadian-CMBS-Loan-Default-and-Loss-Study 


Michaël Beaupré, Directeur général - Relations avec les clients, Institutional Mortgage Capital

Michaël Beaupré est le Directeur général - Relations avec les clients. En tant que membre le plus récent de l'équipe, Michael joue un rôle crucial dans l'établissement de nouveaux liens et l'expansion de la base d'investisseurs d'IMC. Michael gère les relations et les activités de levée de fonds d'IMC dans les secteurs de la dette et du capital en expansion.

Michael travaillait auparavant pour un autre gestionnaire, où il était le principal contact pour plusieurs investisseurs et jouait un rôle clé dans les efforts de collecte de capitaux de l'entreprise. Michael a passé plus de dix ans dans le secteur. Avant de rejoindre son ancienne équipe de développement commercial, il a occupé le poste de directeur des investissements et s'est concentré sur la souscription et la négociation de prêts. Michael a commencé sa carrière dans le conseil en tant qu'analyste des investissements chez PBI, où il s'occupait principalement de la mesure des performances et du suivi des performances des gestionnaires d'investissement. Il est titulaire du titre de CFA et a obtenu une licence en sciences commerciales à l'Université du Québec à Montréal.